« Grand-mère ! C’est moi ! » « Qui ça moi ? Oh Teodora ! Ma petite ! » entonna grand-mère en quittant son jardin pour s’approcher de moi, tout en essuyant la terre de ses mains sur sa blouse. Elle prit mon visage entre ses mains et me regarda de ses yeux si attendrissant. « Alors bella, que me vaut le plaisir de ta visite ? » Je souris, prit sa main dans la mienne et l’attirait sur la balancelle. « Grand-mère … » commençais-je avant qu’elle ne me coupe. « Mafalda. » Oui c’est vrai, elle détestait qu’on l’appelle grand-mère, et pourtant c’était ce qu’elle était, et c’était si affectueux, enfin pour moi. « Mafalda » repris-je non sans sourire, « j’ai trouvé un travail. » Le visage de Mafalda s’illumina. « Oh c’est vrai, mais c’est formidable ! Ton grand-père serait fier de toi ! » Je sentis le visage de Mafalda dériver sur le cimetière que l’on voyait depuis son jardin, la nostalgie s’emparait d’elle. Je serra sa main, et elle se retourna vers moi en souriant, refoulant toute sa tristesse. « Alors vas-y, raconte moi, je veux tout savoir ! » Son ton était enjoué et sa main pressait la mienne. « C’est à Devotion, un magazine de mode, je vais écrire des articles et … » Et le récit commençait. Tout était beau, tout était rose, mais il y avait un hic, il y a toujours un hic. A mesure que j’approchais de la fin de mon monologue, ma gorge se resserrait et mon ton se faisait moins enjoué. « Il y a un mais c’est cela ? » devina ma grand-mère, elle qui avait toujours eu un don de lucidité. « Oui … c’est que … c’est à Milan … » Je relevais les yeux vers grand-mère qui me répondit d’un petit sourire désolé. Cela faisait deux ans, depuis l’obtention de mon diplôme que, faute de trouver un emploi dans ma branche, je travaillais avec ma mère au restaurant. Maman était devenue fleuriste, et puis quand Portofino avait vu sa côte de popularité doublée et les touristes arriver en folie, elle avait décidé d’ouvrir avec mon père leur propre restaurant. Le problème, c’est qu’ils n’étaient pas les seuls à s’être reconverti, et que beaucoup d’autres habitants et nouveaux arrivants comptaient faire leur business du tourisme. Le restaurant marchait mais il était bien loin du succès espéré. « Ta mère trouvera quelqu’un d’autre pour faire le service. » Tenta de me rassurer Mafalda, or nous savions toutes les deux que ma mère, sa fille, le prendrait mal. Elle avait toujours considéré que mes études ne me mèneraient à rien, et s’était trouvé bien confortée dans ses propos quand je me heurtais au manque de places sur le marché du travail. « Et ton jules alors ? » Ça aussi c’était un hic, le second hic. Les images de Fabrizio me revinrent en tête comme un coup de tonnerre. Son sourire, son regard, ses mains … Je sentis les larmes monter, mais je me voulus de les repousser. « Il ne viendra pas… » soufflais-je finalement. Sous-entendu, nous nous étions séparés. Il ne voulait pas me suivre à Rome, il avait sa famille à Portofino, et surtout un travail, un travail qu’il aimait, pas comme moi et le mien. J’ai longtemps hésité, et puis j’ai décidé de partir, cette chance ne se reproduirait pas, mais je l’aimais, je l’aimais tellement que ça me déchirait le cœur. Mafalda le sentit et me prit dans ses bras. Il n’y avait pas de mot assez réconfortant pour cela. J’avais enfin l’opportunité d’avoir le travail de mes rêves, mais pour cela je devais quitter l’homme que j’aime. « Est-ce que j’ai fait le bon choix ? » Mafalda me pressa contre elle encore plus fort et de sa main caressa mes cheveux. « Oh tu sais ma chérie, je ne crois pas qu’il y a de bonne ou de mauvaise réponse cette fois. » Rester pour lui, ou partir pour mon rêve ? J’avais choisi mon rêve. Et pour me rassurer, je me disais qu’il ne devait pas m’aimer assez pour ne pas m’aider à aller au bout de mes rêves. « Tu vas rester ici princesse. » susurra grand-mère en me berçant comme quand je n’étais encore qu’une enfant. J’avais quitté l’appartement que je partageais avec Fabrizio et je n’étais pas prête à affronter ma mère. Ma vie en était réduite à deux valises et quatre cartons que j’avais trimballés en voiture de Portofino, à Burano, le village de ma grand-mère, celle qui m'avait élevé. « Je me rappelle encore de toi, petite, tu adorais venir à l’atelier, la dentelle t’as toujours fasciné… » se souvint Mafalda. « C’est toi qui m’a donné le goût du tissu et de la matière. » murmurais-je à ma grand-mère, dentellière de son état. « Et tu as transformé ça en une passion pour la mode et les vêtements. Et maintenant regarde-toi, rédactrice de Devotion ! Allons fêter ça, tu es belle, tu es jeune, tu encore en avoir plein de jules, crois-moi ! »